

Au début des années 1960, les américains Martin Kruskal (physicien) et Norman Zabusky (mathématicien et physicien) reprennent le travail de Fermi-Pasta-Ulam en changeant le terme non linéaire qui régit l’interaction entre les ressorts. Avec leur programmeur, Gary Deem, ils procèdent à des expérimentations numériques qui les conduisent à l’observation d’un nouveau phénomène : des ondes « solitaires », qu’ils baptisent « solitons ». Deux solitons peuvent se rencontrer et repartir chacun de leur côté sans être modifiés ! Ces expériences numériques sont menées au Bell Telephone Laboratory à Whippany, sur des machines IBM 709 et 7090.
Kruskal et Zabusky réalisent qu’une approximation continue de ce problème n’est rien d’autre qu’une équation aux dérivées partielles qui avait été introduite par Diederik Korteweg et son étudiant Gustav de Vries en 1895. Leur but était d’expliquer les vagues « bizarres » observées cinquante ans plus tôt par l’ingénieur écossais John Scott Russel dans un canal.
C’est donc indirectement le travail de Fermi-Pasta-Ulam, repris par Kruskal et Zabusky, qui fait sortir de l’oubli l’équation de Korteweg-de Vries après près de soixante-dix ans de sommeil. L’expérimentation numérique a permis l’observation de solutions inattendues. Tout un pan de la physique et des mathématiques venait de naitre.
Dans l’approche de Kruskal et Zabusky, la visualisation joue un rôle crucial. Ceci nous paraît banal aujourd’hui mais ce n’était pas le cas à cette époque : ils ont non seulement du inventer leurs propres outils de visualisation, mais aussi d’interaction avec le programme. Pour eux, l’expérimentation numérique interactive dépasse le simple outil : le fait de modifier « en temps réel » des paramètres et de visualiser presqu’aussitôt le résultat, puis d’éventuellement recommencer, développe un rapport et une intuition nouveaux avec les équations.