(photo : Michel Hénon devant son calculateur analogique, construit avec Michel Dreux)
Michel Hénon a placé au cœur de sa pratique scientifique les expériences numériques qu’il considérait comparable aux expériences de physique. Il s’intéresse à l’astrophysique qui est un domaine où l’expérimentation directe est bien sûr impossible ! Le calcul numérique est la seule façon de faire des « expériences ».
Dans les années 1950, Hénon participe à la construction de calculateurs analogiques puis en construit entièrement un pour son propre usage qu’il abandonnera avec l’avènement et la démocratisation des ordinateurs numériques. Il utilisera l’IBM 750 à l’observatoire de Meudon, l’IBM 7040 de l’observatoire de Nice ou encore la toute première calculatrice scientifique programmable de poche : la HP65.
Dans les années 1960, Hénon s’interresse à différents problèmes d’astrophysique. Durant son séjour à Princeton, en 1962, il projette d’étudier le problème d’une étoile dans une galaxie asymétrique. Il réalise plusieurs expériences numériques qui révèlent des « irrégularités ». Il confie à un étudiant, Carl Heiles, la tâche refaire ses calculs, sur une autre machine, indépendamment, comme on ferait avec une expérience de physique dont on exige qu’elle soit reproductible. Ces résultats conduiront à l’article de Hénon et Heiles de 1964 qui révèle un mélange de comportements quasi-périodiques et « ergodiques ».
L’astronomie étant une discipline très mathématisée, Hénon propose de se concentrer sur les propriétés mathématiques de modèles simples obtenus par des méthodes bien connues (datant de Poincaré et Birkhoff) qui conduisent à remplacer les équations différentielles par des itérations en utilisant des « sections transverses » habilement choisies. Malgré leur simplicité, ces modèles restent extrêmement difficiles à étudier analytiquement. Hénon propose donc de faire un usage systématique des expériences numériques.
Une illustration éclatante de sa démarche concerne le problème restreint des trois corps. Hénon montre comment mettre en pratique les idées de Poincaré et Birkhoff pour explorer systématiquement le comportement des trajectoires possibles.
Le travail pour lequel Hénon est sans doute le plus connu en dehors de l’astronomie est celui sur l’attracteur étrange qui porte son nom. En jouant sur les paramètres des équations de Lorenz et en utilisant une section de Poincaré, Yves Pomeau, qui réalise une série de calculs numériques avec J. L. Ibanez, met en évidence le mécanisme de formation d’un « fer à cheval » de S. Smale. Pomeau expose ses travaux lors d’un séminaire donné à l’Observatoire de la Côte d’Azur auquel assiste Michel Hénon. Ce dernier propose alors un modèle très simple de transformation quadratique du plan qui simule, lorsqu’un paramètre varie, le mécanisme de formation d’un fer à cheval : c’est le fameux modèle de Hénon. L’exploration numérique de ce modèle montre, pour certaines valeurs des paramètres, l’existence d’un « attracteur étrange ». Le fait que cet attracteur existe vraiment, c-à-d qu’il n’est pas un artefact numérique, est resté un problème ouvert jusqu’en 1991. Ce sont les mathématiciens suédois Benedicks et Carleson qui, les premiers, ont démontré mathématiquement l’existence de tels objets.