Un premier aperçu à travers des exemples - Chapitre 8

Ce que nous avons appris jusqu’à présent

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Nous résumons les points saillants de ce chapitre.

Nous avons d’abord considéré quelques exemples d’équations différentielles unidimensionnelles, c’est-à-dire des équations de la forme $\dot{x}=f(x)$, où $x\in\mathbb{R}$ et $\,f :\mathbb{R}\to\mathbb{R}$. Nous nous attendons à ce qu’une multitude d’informations sur le comportement des solutions puisse être facilement obtenue à partir d’une simple étude graphique, à savoir en traçant $\dot{x}$ en fonction de $x$, sans avoir à résoudre explicitement l’équation. Il ne restait plus que la question de l’existence et de l’unicité des solutions et un traitement systématique des points fixes.

Nous avons ensuite considéré les équations différentielles dans le plan, c’est-à-dire les équations de la forme

$$ \begin{cases} \dot{x}=f(x,y)\\ \dot{y}=g(x,y) \end{cases} $$

$(x,y)\in\mathbb{R}^2$ et $\,f,g :\mathbb{R}^2\to\mathbb{R}^2$. Le premier exemple était le modèle de Volterra décrivant l’interaction entre les requins et les sardines. Nous avons vu comment visualiser d’un seul coup d’œil toutes les trajectoires dans le plan pour obtenir le portrait de phase des équations. On peut penser à une trajectoire comme à la courbe qu’une particule tracerait en étant « lâchée » dans l’écoulement d’un fluide imaginaire, dont le vecteur vitesse est donné par le champ $(\dot{x}, \dot{y})$ en chaque point $(x, y)$. Là encore, nous avons mis de côté la question de l’existence et de l’unicité des solutions.

Les modèles de population comme celui de Volterra sont des exemples d’équations différentielles du premier ordre puisque les fonctions inconnues $x(t)$ et $y(t)$ sont déterminées par des équations impliquant leur dérivée première.
Les exemples issus de la mécanique classique sont des équations différentielles du second ordre. En effet, si l’on considère par exemple une particule de masse $m$ contrainte de se mouvoir sur une ligne droite, son mouvement est régi, selon la deuxième loi de Newton, par une équation de la forme $m\ddot{x}=f(x)$$f(x)$ est la force agissant au point $x$. Ainsi, la fonction inconnue $x(t)$ est déterminée par une équation impliquant sa dérivée seconde. Nous avons vu une très belle astuce pour visualiser dans le plan $xy$ ce type d’équation en posant $y=\dot{x}$, ce qui donne $\dot{y}=\ddot{x}=f(x)$ ; cela conduit aux équations

$$ \begin{cases} \dot{x}=y\\ \dot{y}=\frac{f(x)}{m} \cdot \end{cases} $$

Nous traitons donc la vitesse comme une seconde dimension. Nous pouvons alors interpréter l’équation $m\ddot{x}=f(x)$ comme un écoulement fluide imaginaire dans le plan $xy$ dont le champ de vitesse en $(x,y)$ est donné par $(y,f(x)/m)$. Nous pouvons facilement visualiser plusieurs mouvements d’un système mécanique simultanément, et voir comment ils s’assemblent - ce qui est presque impossible à faire par une observation physique directe. Nous avons également examiné une équation différentielle du second ordre issue de la théorie des circuits électriques que nous pouvions visualiser de cette manière.

Généralisation
En principe, nous disposons toujours de la même interprétation géométrique pour un système de $n$ équations différentielles du premier ordre de la forme

$$ \dot{\boldsymbol{x}}=\boldsymbol{f}(\boldsymbol{x}) $$

$\boldsymbol{x}=(x_1,\ldots,x_n)$ et $\,\boldsymbol{f}(\boldsymbol{x})=(\,f_1(\boldsymbol{x}),\ldots,f_n(\boldsymbol{x}))$, où chaque $f_i$ est une fonction de $\mathbb{R}^n$ dans $\mathbb{R}$. Nous avons vu un exemple pour $n=3$, à savoir une chaîne alimentaire à trois espèces. Bien sûr, une visualisation directe au-delà de $n\geq 3$ est difficile mais on peut considérer différentes projections de dimension inférieure.

Il n’est pas difficile de généraliser le cas des équations différentielles du second ordre unidimensionnelles à des dimensions supérieures. Si nous considérons, par exemple, une particule dans $\mathbb{R}^3$ soumise à une force $\boldsymbol{f}(\boldsymbol{x})$ qui ne dépend que de sa position $\boldsymbol{x}$, alors nous pouvons définir $y_i=\dot{x}_i$, $i=1,2,3$, et réécrire les trois équations du mouvement comme les six équations suivantes

$$ \begin{cases} \dot{x}_i=y_i\ \dot{y}_i=\frac{f_i(\boldsymbol{x})}{m}\, ,\quad i=1,2,3. \end{cases} $$

Par conséquent, le mouvement de la particule dans $\mathbb{R}^3$ peut être complètement représenté comme le mouvement d’un point dans un espace des phases à six dimensions, à savoir $\mathbb{R}^6$. Si nous avons maintenant $N$ particules, chacune d’entre elles est décrite par six nombres à chaque temps $t$, trois pour la position et trois pour la vitesse, elle peut être complètement décrite comme un point se déplaçant dans l’espace des phases $\mathbb{R}^{3N}$.

Une autre généralisation que le lecteur peut deviner concerne les équations différentielles d’ordre supérieur à deux. En résumé, la classe fondamentale d’équations différentielles est celle du premier ordre, à laquelle on peut ramener toute équation d’ordre supérieur en introduisant un nombre suffisant de nouvelles coordonnées pour construire un espace des phases adapté. Un point dans cet espace abstrait décrit complètement l’état du système à un instant donné, et une solution de l’équation d’origine peut être visualisée comme le mouvement d’une particule dans un écoulement fluide abstrait dans cet espace des phases.

Comportements possibles à long terme des solutions.
Ce n’est pas par hasard que nous avons constaté une augmentation de la complexité du comportement des solutions dans nos exemples à mesure que la dimension de leur espace de phase augmentait.
En dimension un, toutes les solutions doivent avoir un comportement monotone ou rester constantes (point fixe).
En dimension deux, il y a « plus de place » pour les solutions : en plus des solutions constantes (points fixes), nous avons observé des solutions périodiques (trajectoires fermées). En dimension trois, nous avons observé un phénomène qui s’avère impossible en dimension deux, à savoir « des attracteurs chaotiques ». (Bien sûr, nous laissons de côté les solutions qui s’échappent à l’infini, ce qui est un comportement possible — inintéressant — en toute dimension.)

Unicité des solutions $=$ déterminisme $\neq$ prédictibilité.
Comme nous l’avons mentionné, nous n’avons pas encore abordé le problème de l’existence et de l’unicité des solutions des équations différentielles. Ce point sera traité en détail par la suite. Il s’avère que l’existence et l’unicité sont garanties sous une hypothèse générale.

L’unicité a une conséquence très importante : deux trajectoires dans l’espace des phases ne peuvent jamais se croiser. Cette propriété est appelée déterminisme en physique : si l’on connaît l’état initial d’un système, alors son évolution future (et passée, en remontant le temps) est entièrement déterminée.

Mais le déterminisme n’est pas synonyme de prévisibilité, comme le suggère l’exemple de la chaîne alimentaire à trois espèces. Il est en effet possible qu’un infime changement dans l’état initial du système entraîne une évolution totalement différente. C’est ce qu’on appelle le chaos déterministe.

A propos de la résolution d’équations différentielles sur un ordinateur.
Puisque ce livre repose sur une approche expérimentale numérique, il est légitime de se demander ce que l’ordinateur trace réellement. En effet, nous sommes obligés de discrétiser une équation différentielle, et ce que nous calculons n’est donc qu’une approximation de la solution exacte — laquelle, d’ailleurs, ne peut que rarement s’écrire en termes élémentaires.

C’est tout l’objet des méthodes numériques, un sujet que nous n’approfondirons pas ici. Contentons-nous de mentionner que nous utilisons des méthodes classiques et puissantes, comme la méthode de Runge-Kutta.